- Une approche innovante au cœur des communautés
- De la courtoisie à l'action : une méthodologie éprouvée
- Quand la culture locale enrichit le message
- Les défis de la coordination : entre flexibilité et rigueur
- Amplifier l'impact : vers une stratégie multicanale
- Des résultats tangibles, des perspectives prometteuses
- Leçons pour la communauté du développement
- Vers une culture de responsabilité foncière
- Equipe de mission
Dans la salle du CETIC de Ndjolé, une trentaine d’élèves répètent leurs répliques. Leurs voix résonnent, portant des messages sur la gestion foncière responsable. À quelques kilomètres de là, au Lycée bilingue de Yoko, d’autres jeunes s’approprient leur rôle d’ambassadeurs. Ce n’est pas un simple exercice artistique : c’est le début d’une révolution silencieuse dans la façon dont les communautés camerounaises appréhendent leurs terres.
Entre le 22 et le 26 janvier 2025, le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED), avec l’appui de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), a déployé une mission stratégique dans les localités de Yoko et Nanga-Eboko. L’objectif : transformer les jeunes scolarisés en vecteurs de changement social autour des enjeux fonciers, à travers le théâtre scolaire.
Une approche innovante au cœur des communautés
La gestion foncière au Cameroun cristallise des tensions multiples : entre tradition et modernité, entre intérêts économiques et préservation environnementale, entre droits individuels et collectifs. Face à ces défis complexes, le projet « La société civile participe à la formulation et à la mise en œuvre d’une politique foncière responsable au Cameroun » mise sur une stratégie audacieuse : mobiliser la jeunesse comme catalyseur du dialogue communautaire.
La mission de janvier 2025 illustre parfaitement cette vision. En cinq jours, l’équipe composée de Edith Christian Ngoube Ngoube, Diane Tapimali, Jeanne Thérèse Mbenti et Thierry Augustin Foning a parcouru deux arrondissements, rencontré cinq établissements scolaires, et posé les jalons d’une campagne de sensibilisation d’envergure.
De la courtoisie à l’action : une méthodologie éprouvée
Le succès d’une intervention communautaire repose d’abord sur la légitimité. Consciente de cet impératif, l’équipe a débuté par des visites de courtoisie stratégiques. À Ndjolé, la Chefferie a mis à disposition le foyer communautaire pour les répétitions. À Yoko, le Maire Dieudonné Annir a non seulement accueilli favorablement le projet, mais a proposé une amplification stratégique : organiser la sensibilisation durant le défilé de la Semaine de la Jeunesse, créant ainsi un « carré de l’excellence » pour maximiser la visibilité.
Ces rencontres institutionnelles ont ouvert la voie à la phase opérationnelle. Dans chaque établissement – CETIC de Ndjolé, Lycées bilingue, classique et technique de Nanga-Eboko, Lycée bilingue de Yoko – le processus s’est déroulé selon une méthodologie participative rigoureuse :
Constitution des troupes théâtrales : Les proviseurs et responsables APPS ont identifié des élèves motivés, créant des listes définitives d’acteurs engagés.
Création collaborative des scénarios : Plutôt que d’imposer des textes préfabriqués, l’équipe a animé des séances de création participative. Les élèves ont contribué à élaborer les pièces, garantissant ainsi leur appropriation du message et son ancrage dans leur réalité quotidienne.
Jeux de scènes et renforcement des capacités : Les sessions pratiques ont permis aux jeunes comédiens de s’exercer, d’expérimenter, de perfectionner leur art tout en intégrant les messages clés sur la gouvernance foncière.
Planification du suivi : Un plan d’entraînement rigoureux a été élaboré avec les responsables APPS de chaque établissement : trois répétitions hebdomadaires avec transmission régulière de capsules vidéo à l’équipe projet pour un suivi à distance.
Quand la culture locale enrichit le message
Au Lycée bilingue de Nanga-Eboko, une proposition remarquable a émergé : adapter la représentation théâtrale en langues locales – Bamvelé et Vouté – à l’occasion de la Journée internationale des langues maternelles le 25 février. Cette initiative, portée par le Proviseur, illustre une dimension fondamentale de la communication pour le développement : la nécessité d’ancrer les messages dans le patrimoine culturel des communautés cibles.
L’équipe du CED a immédiatement perçu le potentiel multiplicateur de cette approche. L’adaptation en langues locales n’est pas qu’une traduction linguistique ; c’est une traduction culturelle qui permet aux messages de résonner profondément dans l’imaginaire collectif. Plus encore, la transformation de ces pièces en théâtre radiophonique, diffusé via la radio communautaire ODAMA, pourrait démultiplier l’impact en atteignant les zones rurales les plus reculées.
De même, la décision d’utiliser des costumes traditionnels locaux – achetés dans les communautés plutôt que confectionnés en ville – renforce l’authenticité et l’appropriation communautaire du projet.
Les défis de la coordination : entre flexibilité et rigueur
Toute intervention de terrain révèle des contraintes opérationnelles. La mission n’a pas fait exception. Le programme officiel de la Semaine de la Jeunesse n’était pas encore disponible au moment de la mission, créant une incertitude sur les dates exactes des journées culturelles. Les établissements avançaient des dates différentes – 6 et 7 février pour les Lycées classique et technique de Nanga-Eboko – imposant une flexibilité dans la planification.
Cette réalité souligne un défi récurrent dans les projets de développement : la nécessité de conjuguer rigueur méthodologique et adaptabilité contextuelle. L’équipe du CED a transformé cette contrainte en opportunité, en établissant des mécanismes de suivi rapproché et en prévoyant une mission de supervision du 2 au 12 février pour finaliser les préparatifs.
Amplifier l’impact : vers une stratégie multicanale
La mission a révélé plusieurs leviers d’amplification stratégique :
Le défilé comme vecteur de sensibilisation massive : La recommandation du Maire de Yoko d’utiliser le défilé de la Semaine de la Jeunesse comme plateforme de sensibilisation offre une opportunité rare de toucher simultanément des milliers de personnes – élèves, parents, autorités, communauté élargie.
Le « carré de l’excellence » : Former une unité visible d’une dizaine d’élèves ambassadeurs, équipés de t-shirts, casquettes, banderoles et supports de communication, pour incarner physiquement le message durant les événements publics.
La diffusion multimodale : Combiner théâtre en présentiel, brochures, flyers, et médias communautaires pour créer une saturation informative positive autour des enjeux fonciers.
Le renforcement médiatique : Le recrutement d’un personnel d’appui technique local permettra une couverture médiatique simultanée de plusieurs sites, maximisant la documentation et la valorisation du projet.
Des résultats tangibles, des perspectives prometteuses
En cinq jours, la mission a produit des livrables concrets :
- Cinq troupes théâtrales constituées et opérationnelles
- Cinq scénarios de pièces créés de manière participative
- Plans de suivi hebdomadaire établis avec les responsables APPS
- Partenariats institutionnels consolidés avec autorités locales et établissements scolaires
- Identification des besoins en costumes et matériels de scène
- Stratégies d’amplification définies pour maximiser l’impact
Plus qu’une liste d’activités accomplies, ces résultats témoignent d’une transformation en cours : des élèves qui deviennent acteurs conscients des enjeux fonciers, des établissements scolaires qui intègrent la gouvernance foncière dans leur agenda éducatif, des autorités locales qui reconnaissent le potentiel du théâtre comme outil de dialogue social.
Leçons pour la communauté du développement
Cette mission offre plusieurs enseignements transposables à d’autres contextes :
L’efficacité de l’approche participative : Impliquer les bénéficiaires dès la conception garantit l’appropriation et la pérennité. Les élèves ne récitent pas des textes imposés ; ils incarnent des messages qu’ils ont contribué à créer.
Le pouvoir de l’ancrage culturel : Utiliser les langues locales, les costumes traditionnels, les médias communautaires transforme un projet « externe » en initiative « endogène ».
La valeur du temps institutionnel : Les visites de courtoisie, souvent perçues comme protocolaires, sont en réalité des investissements stratégiques qui ouvrent des portes et mobilisent des ressources locales.
L’importance du suivi rapproché : Le plan de répétitions hebdomadaires avec transmission de vidéos permet un accompagnement continu sans présence physique permanente, optimisant les ressources tout en maintenant la qualité.
La nécessité de la flexibilité opérationnelle : Dans des contextes où les calendriers officiels restent incertains, la capacité d’adaptation détermine le succès.
Vers une culture de responsabilité foncière
Au-delà des représentations théâtrales à venir, cette initiative s’inscrit dans une vision transformatrice : bâtir progressivement une culture de responsabilité foncière au Cameroun, en commençant par les jeunes. Chaque élève comédien devient potentiellement un ambassadeur dans sa famille, son quartier, sa communauté. Chaque représentation théâtrale crée un espace de dialogue où les enjeux fonciers – souvent sources de conflits – peuvent être abordés de manière apaisée et constructive.
Les prochaines semaines seront décisives. Les répétitions s’intensifient dans les cinq établissements. Les costumes traditionnels sont en cours d’acquisition. Les autorisations préfectorales pour le défilé se finalisent. Et bientôt, sur les places publiques de Yoko et Nanga-Eboko, des centaines de spectateurs découvriront que la gouvernance foncière n’est pas qu’une affaire d’experts et de juristes – c’est l’affaire de tous, à commencer par la jeunesse.
Dans un contexte où les tensions foncières menacent la cohésion sociale et le développement durable, l’initiative du CED et de la GIZ démontre qu’investir dans la sensibilisation communautaire, avec créativité et rigueur méthodologique, n’est pas une option : c’est une nécessité stratégique.
Les élèves de Yoko et Nanga-Eboko ne le savent peut-être pas encore pleinement, mais en montant sur scène, ils écriront aussi une nouvelle page de l’histoire foncière de leur pays. Une page où la participation citoyenne, le dialogue intergénérationnel et la responsabilité collective ouvrent la voie à une gouvernance foncière plus juste, plus inclusive, plus durable.
Le rideau se lève: Que le changement commence…
Equipe de mission
- Edith Christian NGOUBE NGOUBE
- Diane TAPIMALI
- Jeanne Thérèse MBENTI
- Thierry Augustin FONING
Le projet « La société civile participe à la formulation et à la mise en œuvre d’une politique foncière responsable au Cameroun » est mis en œuvre par le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED) avec l’appui financier de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ). Il vise à promouvoir une gouvernance foncière inclusive et participative à Nanga-Eboko et à Yoko, inspirée des directives volontaires internationales, tout en renforçant les capacités des organisations et acteurs locaux.