- Une mission, deux départements, 22 communautés
- Les voix du terrain : ce que les chiffres ne disent pas
- Les dynamiques cachées d'une crise foncière
- L'architecture du changement
- Les paradoxes de la sécurisation foncière
- Les leçons à retenir
- La voix est tracée pour une politique foncière co-construite
- Ce qu'il faut retenir
- Equipe de mission

Ndjolé, 16 décembre 2024, 7h30. Le convoi du Centre pour l’Environnement et le Développement (CED) s’arrête à l’entrée du village. Pas de réseau téléphonique. La route, fraîchement dégradée par les pluies, porte encore les traces des passages répétés de troupeaux. Dans quelques heures, l’équipe rencontrera le chef traditionnel et découvrira une réalité qui se répète dans 21 autres villages : un conflit vieux comme le monde entre éleveurs transhumants et agriculteurs, mais avec une urgence nouvelle.
Une mission, deux départements, 22 communautés
Entre le 15 et le 22 décembre 2024, une équipe pluridisciplinaire du CED a parcouru les départements du Mbam-et-Kim et de la Haute-Sanaga pour une mission aussi ambitieuse que nécessaire : établir les fondations d’une politique foncière responsable, pilotée par la société civile, dans le cadre d’un projet financé par la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ).
L’objectif ? Transformer 22 villages en laboratoires vivants de gouvernance foncière, où les communautés ne subissent plus les décisions, mais participent activement à leur formulation.
Les voix du terrain : ce que les chiffres ne disent pas
Dans chaque village visité—de Guervoum à Mebolè, de Mangai à Emtsé—le même constat s’impose : les conflits fonciers ne sont pas des abstractions juridiques. Ce sont des récoltes perdues, des tensions intercommunautaires, des investissements à grande échelle qui transforment les territoires ancestraux sans que les communautés ne comprennent leurs droits.
La réalité d’Emtsé illustre parfaitement ces défis. L’adhésion au projet y a été difficile. Pourquoi ? Parce que les promesses passées n’ont pas été tenues. Parce que la structuration communautaire est faible. Parce que, comme l’a confié un chef traditionnel : « On nous parle de nos droits, mais qui nous donnera les moyens de les défendre ? »
Les dynamiques cachées d’une crise foncière
L’analyse menée par l’équipe du CED révèle des tendances préoccupantes :
Les conflits agro-pastoraux dominent, mais une solution émerge : la matérialisation des couloirs de transhumance. Là où municipalités, communautés villageoises et représentants des éleveurs ont collaboré pour tracer ces corridors, les tensions ont diminué significativement.
Les investissements à grande échelle se multiplient, particulièrement dans le sud de Yoko, où le « projet plaine centrale » a créé d’immenses concessions foncières. Le problème ? Les communautés ignorent leurs droits légitimes face à ces appropriations massives de terres.
De nouveaux conflits émergent : empiètements entre villages, tensions entre éleveurs sédentaires et transhumants. Ces dynamiques, moins visibles, annoncent les conflits de demain.
L’architecture du changement
La mission n’a pas seulement documenté les problèmes. Elle a construit l’infrastructure humaine nécessaire au changement.
Les facilitateurs locaux—Aurélien à Yoko, Ambara à Nanga-Eboko—ont été essentiels. Ils incarnent ce que le projet vise à institutionnaliser : des relais communautaires capables de traduire les politiques en actions concrètes.
Les séances de travail avec les maires de Yoko et Nanga-Eboko, les proviseurs de lycées, le préfet de la Haute-Sanaga, et même le responsable local de MBOSCUDA (l’association des éleveurs Mbororo) ont créé un écosystème d’acteurs engagés. Car la gouvernance foncière responsable n’est pas qu’une affaire de législation—c’est une affaire de coalition.
Les paradoxes de la sécurisation foncière
L’un des constats les plus frappants de la mission tient en une contradiction : les communautés villageoises connaissent les procédures de sécurisation des terres coutumières, mais n’ont ni la culture, ni les moyens de les mettre en œuvre.
Ce fossé entre connaissance et action révèle l’essence même du défi. Il ne suffit pas d’informer. Il faut accompagner, renforcer les capacités, et—surtout—respecter les mécanismes locaux de résolution des conflits qui, souvent, fonctionnent mieux que les procédures juridiques formelles.
Le rôle prépondérant des chefs traditionnels dans la gestion foncière n’est pas un obstacle au changement. C’est un levier, à condition de les intégrer comme partenaires stratégiques.
Les leçons à retenir
Cette mission offre des enseignements précieux pour tous les acteurs du développement travaillant sur les questions foncières :
- La participation citoyenne ne se décrète pas. Elle se construit village par village, avec patience et respect des dynamiques locales.
- Les solutions techniques existent (cartographie participative, couloirs de transhumance), mais leur adoption dépend de la légitimité des processus qui les portent.
- La structuration communautaire est le maillon faible. Sans organisations locales fortes, même les meilleures politiques restent lettre morte.
- Les mécanismes non-juridiques de résolution des conflits méritent une attention particulière. MBOSCUDA, par exemple, joue un rôle de médiation crucial que les institutions formelles ne peuvent remplacer.
La voix est tracée pour une politique foncière co-construite
Au terme de ces huit jours sur le terrain, le CED dispose désormais d’une cartographie précise des acteurs clés et d’une base de données inédite sur les dynamiques foncières locales du quatrième trimestre 2024.
Mais au-delà des livrables, c’est une dynamique qui s’est enclenchée. Dans les villages visités, quelque chose a changé. Les communautés ne se perçoivent plus seulement comme bénéficiaires d’un projet, mais comme co-architectes d’une politique qui les concerne au premier chef.
Les défis restent immenses : routes impraticables, absence de réseau de communication, méfiance héritée de projets passés. Mais la volonté est là. Chez les maires qui ont mis des facilitateurs à disposition. Chez les chefs traditionnels qui ont mobilisé leurs communautés. Chez les éleveurs et agriculteurs qui, malgré leurs différends, aspirent à une coexistence pacifique.
Ce qu’il faut retenir
Le projet « La société civile participe à la formulation et à la mise en œuvre d’une politique foncière responsable au Cameroun » n’est pas qu’une expérience locale. C’est un modèle potentiel pour toute l’Afrique centrale, où les conflits fonciers menacent la cohésion sociale et le développement durable.
Pour la communauté internationale, le message est clair : investir dans la gouvernance foncière participative n’est pas une option philanthropique. C’est une nécessité stratégique. Parce que sans sécurité foncière, il n’y a ni développement agricole durable, ni paix sociale, ni résilience climatique.
Les 22 villages de Yoko et Nanga-Eboko montrent la voie. À nous, acteurs du développement international, de la suivre—et de l’amplifier.
Equipe de mission
- Michel Delor Mbang Atangane
- Diane Tapimali
- Edith Christian Ngoube Ngoube
- Willy Stéphane Azebaze Feudjo
- Augustin Foning
Le projet « La société civile participe à la formulation et à la mise en œuvre d’une politique foncière responsable au Cameroun » est mis en œuvre par le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED) avec l’appui financier de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ). Il vise à promouvoir une gouvernance foncière inclusive et participative à Nanga-Eboko et à Yoko, inspirée des directives volontaires internationales, tout en renforçant les capacités des organisations et acteurs locaux.